Les animaux s’ignorent ; ne parlent ni ne se parlent. Regardez la belle image africaine : les grues migratrices volent au-dessus des flamands, qui survolent les gazelles, au-dessus des picoreurs, distants. Ensemble, occupés chacun de leurs congénères.
S’ils parlaient, ils s’invectiveraient aussitôt, et se massacreraient : ils seraient « humains ». L’homme est un animal parlant, allélocidaire.
Comment sortir de l’ethnicité ?
Clans ; communautés identitaires ; espèces génocidaires, croyantes, contre lesquelles ni le « care » empathique ni les ONG généreuses, rien, ne peuvent « grand-chose ». La tempête des sécessions-régressions – un souverain par clan, toute Nation défaite… – usurpant l’idéologème du Peuple, atomise l’humanité.
Ce 9 novembre, Jacob Rogozinski, professeur de philosophie à l’Université de Strasbourg, publiait dans Le Monde un texte surprenant touchant à « l’aveuglement des Lumières ». J’objecte :
Dieu est partout chez Kant. Emmanuel Kant ne s’intéresse qu’à Dieu, lui cherchant sa place dans les trois Critiques. Puis à la relation limitée de la Religion et de la Raison. Les Lumières ne sont pas embuées de presbytie, mais clairvoyantes et transposables pour aujourd’hui.
Il y a Erdogan, le calife hallucinant les croisades d’il y a dix siècles pour lever ses mercenaires. Et il y a Ossip Mandelstam : le Voyage en Arménie (1930). Écoutons Philippe Jaccottet (Revue Sud, 1981) : « Je vois que l’Arménie a été pour Mandelstam la ligne réelle du paysage entrevu dans « l’ode écrite au crayon d’ardoise » dispersé ailleurs, si violemment désiré. Ce fut vraiment le pays sabbatique, plus que cela, la terre promise entrevue avant de retrouver au retour Leningrad sinistrement noire et jaune, et la suite funeste jusqu’à la mort ».
Étrangement, il n’y a que l’art (la « poésie ») qui maintienne une possibilité de « paix ».
Poétique et politique, en guerre au 20ème siècle (quant au « changer le monde »), il s’agit de les réunir, les indiviser éco-logiquement.
Michel Deguy