C’est une longue amitié… Pierre Joris nous a quittés ce mercredi 26 février 2025. J’ai connu Pierre Joris à Constantine en 1976. Il enseignait l’anglais à l’université et moi la sociologie. À cette époque la majorité des enseignants étaient des étrangers, soit coopérants soit contractuels. Pierre se distinguait par son allure beat generation. Nous nous croisions dans les couloirs, nos deux départements se trouvaient à proximité. Comment en sommes-nous venu à nous parler ? Je me souviens avoir discuter de Kateb Yacine et de Mohammed Khair eddine, aussi de Kerouac et de Burroughs…
De sa rencontre avec Khair eddine dans la librairie Shakespeare and Co à Paris, quelques années auparavant, date son amour pour la littérature maghrébine. Puis nous avons parlé de traduction. Il aurait pu écrire en français ou en allemand, deux langues enseignées au Luxembourg dont il était originaire mais il préféra une langue étrangère, l’anglais. Cela rendait évident le fait que l’on n’écrivait jamais dans sa langue maternelle. Nous avions beaucoup discuté cette question… Très tôt, il voulut me traduire et m’incita à traduire certains de ses textes et ceux d’autres poètes anglais.
Pierre Joris quitta l’université de Constantine en 1979 pour aller à Paris où il anima des émissions à la radio, puis à Londres et enfin aux États-Unis où il enseigna à l’Université d’Albany jusqu’à sa retraite. Nous nous sommes vus régulièrement, il m’a traduit et je l’ai traduit. Nous avons travaillé pendant plusieurs années à une vaste anthologie maghrébine en langue anglaise, 792 pages, Diwan Ifriqiya, parue dans le volume 4 de la série Poems for the Millennium, University of California Press, 2013.
Il figure parmi les premiers poètes publiés dans la collection « Poèmes du monde » des éditions Apic.
J’ai beaucoup appris avec lui : la traduction comme épreuve pour sa propre écriture, la notion de poétique nomade qui se dégage dans sa poésie et que je retrouve dans le mien, la voix et le geste portant l’écrit, l’humilité dans le service du poème… et bien d’autres choses…
…
Le dernier mois, quand les médecins ont arrêté les traitements abandonnant tout espoir, je relisais Hölderlin que nous aimions tous deux et Celan qu’il a passionnément traduit en anglais. J’ai envoyé ces deux acrostiches à Nicole, son épouse, pour qu’elle les lui lise. Il était très fatigué et ne pouvait parler au téléphone.
à mon ami Pierre
Plus de quarante ans nous en avons fait des choses
Indomptables à tordre le cou à Aristote son
Éthique et Poétique encombrant le cerveau
Regard pointant le bleu exquis où les Célestes
Regimbent aux hymnes de Hölderlin laissant là-bas
Énigmes ouvertes à la lumière du souvenir
Joie à façonner le Diwân Ifriqiya
Obliger le poème à dire ce que le cœur
Recèle Celle qui te ressemble ses performances
Inspirées toutes ces années passées ensemble
Soleil qui t’accueillit sur une rive enchantée
Habib, le Kremlin-Bicêtre, mercredi 19 février 2025
Celan est là
Pareil au Très Haut le poète qui t’accueille
Intimité où ton désir nomade s’
Emploie à traduire en autre langue ta langue
Retrouvée le périple périlleux une
Réussite ami tu as œuvré avec
Energie et Amour toujours là te porte
Habib, le Kremlin-Bicêtre, mardi 25 février 2025
Pierre Joris a été enterré à New York le vendredi 28 février.
En épitaphe
Ne t’inquiète pas :
ta naissance t’a
été donnée / tu
auras
ta mort —
entre
continue à avancer
Pierre Joris
1946-2025
Il nous laisse une œuvre importante.
Habib Tengour, Paris-Alger, 10 mars 2025