Il me disait souvent que ces longues années loin de sa patrie, du territoire de ses ancêtres, lui avaient apporté beaucoup de peines et souffrances, celles de l’exil, mais qu’elles lui avaient été également très profitables, d’une part parce qu’elles lui avaient permis d’envoyer régulièrement de l’argent à son clan au sein duquel plusieurs enfants avaient pu « Vous êtes sans cesse en quête de
nouvelles frontières,
de “conquêtes spatiales”, comme vous dites. Car ce n’est pas la Terre
qui est votre lieu
de naissance. » atteindre le niveau de fin du secondaire et devenir instituteur, infirmière, hôtesse dans les avions, comptable… D’autre part, parce qu’elles lui avaient permis de découvrir le monde, de coudoyer des hommes aux manières de vivre et de penser très différentes. Mais ce soir il s’était préparé à aller beaucoup plus loin dans l’expression de sa réflexion. Voici ses propos, respectueusement recueillis et traduits :
« Vous les hommes blancs, il y a très très longtemps, avant même que nos ancêtres aient existé, vous êtes venus d’une autre planète, d’une planète inconnue. C’est pourquoi vous ne reconnaissez pas la Terre comme votre mère, mais comme une nourrice que vous pouvez traire jusqu’à son dernier lait, jusqu’à la rendre stérile, poitrine sèche. La Terre, vous avez tenté de la séduire, de la mettre à votre service, de la conquérir tout entière pour mieux l’exploiter. Vous avez presque réussi. Mais cela ne vous suffit plus. Vous êtes sans cesse en quête de nouvelles frontières, de « conquêtes spatiales », comme vous dites. Car ce n’est pas la Terre qui est votre lieu de naissance. Alors vous êtes allés voir sur la lune et rentrés bredouilles. J’entends dire que vous voulez maintenant aller sur Mars. Vous serez une nouvelle fois déçus car votre planète d’origine se cache dans l’univers… Excités, sans répit, vous inventez de nouvelles machines pour aller plus loin, plus vite, plus haut, de nouveaux engins pour frapper plus fort… Vous songez même à inventer un homme nouveau qui vivrait éternellement jeune. Et bien, je vais te dire, Vavalangi [1], moi je souhaite que vous la retrouviez le plus vite possible, votre planète d’origine. Car avec votre fièvre contagieuse vous rendez la Terre malade »
Lorsque l’esprit de Saouavé s’en ira rejoindre les mânes de ses ancêtres, c’est une part de la « conscience poétique » du monde qui disparaîtra.
Roger Lesgards
Suva, Iles Fidji, février 2012