Dérive — Ballade des mourants

Michel Deguy
par Michel Deguy

Une “adoption” de la célèbre ballade de Villon, qui parle d’aujourd’hui.

Frères migrants qui avec nous vivez

N’ayez les cœurs contre nous ennemis

Car si pitié de nous riches avez

Paix en aurait plus tard pour tous la chance

 

Vous nous voyez cy apeurés à millions d’imbéciles !

Quant à l’âme que trop avons pourrie

Elle est piéça avilie et haineuse

et nous les blancs, devenus irradiés et foudre

De notre mal personne ne s’acquitte.

Prions l’inexorable que tous nous puisse aider

 

Si frères vous clamons pas n’en devez

avoir méfiance, quoique fûtes occis

par injustice. Toutefois vous savez

que tous hommes n’ont pas su l’adoption élire

 

Mourants nous sommes, âmes-sœurs délaissant,

Frères de sang ne sommes, sauf par hominicide…

Comme frères adoptifs pourrions tenter de vivre

Laissant le rêve et le rêve du Rêve

Prions les dieux qu’ils se connaissent et se confondent

 

Nous nous reconnaissions sans nous connaître

C’était le temps des sages et des peuples

Or la science  changea le visage en faciès

et sa reconnaissance en prosopognosie

 

Là où croît la menace aucun dieu ne croît plus

Mais prions l’être-ni- dieu- ni -moi, « suprêmes »

Qu’un nous s’invente et se fédère si

Nous sommes tous ce que ne sommes pas

 

Que les langues parfaites en cela que plusieurs

fassent voler en éclats éclairants

l’identité réduite à l’ADN

 

Michel Deguy