Détournement — Assez, avec la famille !

Michel Deguy
par Michel Deguy

En quoi parler de “famille” politique est dévastateur pour la politique.

Ils n’ont que ce mot à la bouche, dès qu’ils meetinguent et heure par heure à la télé ! Ce nonsense, que l’anglais pour une fois nous sert à désigner précisément, l’obscénité de ce cliché obsédant, malodorant à toute autre… famille, éclatent : plus qu’une contradiction, un emboutissement suicidaire de famille (« ma famille, notre famille ») avec « la République » ! Ce nouveau-né lourdement handicapé, monstre d’une conception non conceptuelle : « la famille des républicains…! ».

 

Ils sont une « famille », ils s’aiment, ils se détestent, incestueux et fratricides, foule de consanguins sympathisants (ou « militants ») accrochés aux branches de leur baobab généalogique. Le parti… des républicains ! Une usurpation, donc, de la République, ou comme le nom d’épouse roturière rattaché par un trait d’union (sic) à celui de l’ancêtre légitime ― un peu d’Orléans, un peu de Bonaparte ― ils se sont ennoblis en se bâtardisant.

En philosophie politique, depuis le lycée grec jusqu’à Sciences-Po, la distinction fondatrice est celle du domestique, ou privé, et de l’espace La fraternité révolutionnaire n’est aucunement familiale. Loi du sol,
pas du sang. Adoption, pas consanguinité
ni complicité.
Le peuple n’est pas
de la famille.
public, ou chose publique. La famille, c’est ce qu’on laisse à la porte de l’Assemblée. Aucune famille n’a « le droit ». C’était encore vrai du temps d’Alain : les « parents d’élèves », les saintes familles, c’est ce qu’il fallait à tout prix maintenir en dehors du lycée, hors des classes, pour que l’École républicaine émancipatrice pût fonctionner. On a renversé tout cela : l’École publique en est malade, sans doute incurablement.

Les prénoms (Nicolas, Alain, François), les abrazos et les bisous (homme de la famille, femme de la famille) ont changé la délibération en affairement familial [1]. La diatribe pourrait être servie et resservie, à destination de « la famille socialiste »; bien entendu.

La fraternité révolutionnaire (à repenser) n’est aucunement familiale. Loi du sol, pas du sang. Adoption, pas consanguinité ni complicité. Le peuple n’est pas de la famille. Ça n’en fait pas, hélas, un peuple de concitoyens ― loin de là. Comment ramener « les gens » aux délibérations d’un bien plus commun pour une volonté plus générale ; par exemple aux « élections » ? Commençons par exorciser ce monstre sémantique de « famille des républicains ». Républicains vous n’êtes pas en famille(s).

L’abaissement, l’épuisement de la politique, partout déplorés, sont mesurés pour ainsi dire par l’abstention dévastatrice, la désertion antirépublicaine.

Michel Deguy

 


Note

[1] Ensemble des famuli, esclaves attachés à la maison du maître ; puis tous ceux qui vivent sous le même toit.