Quelques mots d’ouverture et de grande fierté : Po&sie et Afrique,
Afrique et Po&sie, c’est un événement pour nous, ici-maintenant. Je dis la reconnaissance de la Revue, l’admiration et la gratitude pour tous les
artisans de ce numéro 153-154 ; permettez-moi de remercier intensément en notre nom à tous Claude Mouchard, Claire Riffard, Geneviève Bouffartigue… comme je devrais insister lourdement, je n’insiste pas. C’est un modèle — « réduit » sans doute, comme on dit… même si complété (non achevé) dans quelques mois par son demi-frère jumeau (numéro 157-158) —, dont il faut imaginer l’extension du domaine de lutte, l’élargissement du champ de poésie — pour faire allusion à des livres récents.
Avant d’ouvrir la revue avec vous, je considère la belle couverture de
Hatim Ghanim, pour deux ou trois variations de mon salut. Nous avons tous en présence d’esprit cette figure statuaire de la Liberté qui lève sa flamme à l’entrée de l’Amérique. Quelle est l’entrée de l’Afrique ? Notre couverture nous tend une autre figuration. Ce n’est pas une allégorie, mais une image qui imagine autrement le possible, puisque c’est une assemblée de femmes musiciennes, sans doute dénombrables, mais en pluriel singulier, si j’ose dire, et comme latéralement et en profondeur
démultipliables.
Cette semaine encore repassait à la télé un film livresque fameux intitulé Out of Africa. Si c’est pour enjoindre de sortir de ce qui aura été le rapport à l’Afrique des siècles précédents, alors on peut l’entendre. Mais notre titre, pour ce numéro, serait plutôt Come to… into… Africa… et Let us join together.
Dans la société dite blanche du film nostalgique, il y a des héros. La définition du héros, c’est que chaque — un a sa vie parce qu’il a sa mort. Obsédé de sa « solitude essentielle », le héros la fraye et la paye de sa mort. Dans l’autre, dite noire, il n’y a pas une vie par personne, ni une vie grégaire comme on la diffamait. Mais une vie à plusieurs, une vie à tous, entendons à tous ceux d’un ici, ensemble. Faut-il appeler ça une « culture » ? Non, à cause du culturel qui menace de tout égaler sous le label Unesco. Pas de vie solitaire héroïque, mais une vie commune, une « future vigueur » d’adoption, dont le rêve communiste occidental aura été l’échec.
Une autre association d’images, si vous le permettez, pour finir : dans notre mémoire mythologique ou religieuse, il y a la hantise d’une Tour de Babel, à l’assaut breughélien du ciel, maudite, ruiniforme… Notre projet n’est pas d’architecture de Tour, s’il est vrai que les tours de la mondialisation mégalopolique, aujourd’hui, prisonnières de leur gigantisme homothétique, sont pareilles à des fusées rivales du Record de lancement sur le pas-de-tir de la déterrestration !
Si Po&sie est un édifice (?) il n’est pas de pierre, mais de verbe ; ou « pierres vives » selon Rabelais, c’est-à-dire d’oeuvres en langues, lectrices de musique, de danse, et d’arts plastiques, et qui se traduisent, tentant de s’entendre.
« I have a dream » ?… Sortir du rêve s’impose ; sortir du rêve implique de ne pas dire adieu au langage des langues.
La poésie est une éco-logie du terrestre.
Michel Deguy