« Es ist so ! » On rapporte que tel fut le constat laconique de Georg Wilhelm Friedrich Hegel levant son regard au pied des Alpes.
Non ! Mais « C’est comme quand »… Wie Wenn, tel fut l’incipit du poème de Friedrich Hölderlin, l’ami de Hegel et de Schelling au séminaire de Tübingen. Comment c’est ? « En poires jaunes pend / Et plein de sauvages roses / Le pays sur le lac »… (« Mit gelben Birnen hänget ») Et les murs debout / Sans parole… C’est comme ça… Et comme ça, ajoute la chanson.
La grandeur du mondoiement du monde [1] est la dimension du visible à l’ouverture de la diversité infinie de ce qu’il y a (Es gibt). Cette grandeur est comparative… toutes choses inégales d’ailleurs : théorème de la merveille, si nous prenons étymologiquement le verbe grec théoreïn, en amont de Thalès.
De quoi le poème de Sappho prend une mesure aurorale en anaphore de comparatifs dont elle énumère les « compléments » au génitif (Galaktos leukothera). La louange ne peut pas faire moins que la tautologie homérique : redoublant « épithétiquement » le nom des choses. Comment brille la lumière ? En illuminant. Comment vente le vent ? En se levant venteusement. Et l’Océan, comment fait-il ? « Poluphlois-boios »…
Hölderlin, lent marcheur traversier des Alpes (« Unter den Alpen gesungen », 1800), devant lesquelles le philosophe se tut, en dit la sérénité (Heiterkeit). La sublimité kantienne ne le réduit pas au silence ou à la seule exclamation. De haut (apo hypsous). Il imagine la hauteur d’une vue depuis une élévation poétique fille du mythème : les dieux font défaut, mais pas les demi-dieux. Rhin ou Danube sont grands, les Grands Fleuves depuis la hauteur sereine, à mi-chemin des « mortels » et des Olympiens ; figures célestes du terrestre ; tenseurs de l’immensité du « diastème ».
Déliant la langue du philosophe, le « poème » multiplie les comparants possibles des choses qui sont en-étant-comme. « Magie » (?) du mögen allemand ? Conditions de possibilités ?…
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Kant réinvente le « transcendantal ». Ce philosophème s’entend maintenant (en âge des Lumières) comme celui des « conditions de possibilité ». À quelles conditions la connaissance d’entendement est-elle possible ? C’est « la critique de la Raison pure ». La seconde critique énonce que la pratique n’est possible qu’au prix d’une « universalisation » de la maxime de mon action « morale » ; faute de quoi l’être-ensemble humain, le milieu du s’entendre parler (et donc du politique) ne pourrait exister. C’est la réponse sans Dieu à la Méditation cartésienne : le doute radical fermerait l’entendre du langage. Tout s’arrêterait.
Quelle différence alors entre Principe et Transcendantal ? La possibilité n’a-t-elle pas une fois pour toutes été définie par le Principe d’Identité grec ? Une chose « représentée » (dite) ne peut être elle-même et son contraire ; c’est-à-dire à la fois posée et déposée dans une même proposition. A est A, n’est pas non-A ; et son tiers est exclu.
Mais peut-être ce « tiers » fraye-t-il [2] une autre possibilité… La condition de possibilité du poème (de l’œuvre) est autre. La proposition poétique ne se soumet pas au « de deux choses l’une », au « c’est vrai ou c’est faux ». Car une chose peut être comme une autre [3]. L’autre et le même ne retombent pas chacun de leur côté. La rose et la jeunesse ; la lune et l’orange… [4]
Michel Deguy