Billet — De la superstition

Michel Deguy
par Michel Deguy

La clef — pour employer le mot de Paulhan qui croyait possible de faire la clarté — ouvrirait l’arcane de la superstition [1].

Son objet et le dire de cette recherche pourraient s’appeler L’image au miroir. Comme l’artisan prépare ses travaux en juxtaposant d’abord tous les outils de l’opération, il convient de se laisser guider dans tous les sens par cette préoccupation d’une même chose.

Notre temps (21e siècle de l’ère chrétienne) est propice, puisque c’est l’âge du selfie. « Tu veux ma photo ? — Oui, rien d’autre. — Seul ou avec toi ? »

Les éléments du narcissisme, ceux dont le mythe dessine le puzzle depuis toujours (adoration paralysante de mon image-reflet au miroir de toutes les surfaces), ubiquisés, réfléchis indéfiniment, se prêtent à la déconstruction de toute l’affaire en fin derridienne de film : la grande illusion fondatrice de l’humanité se laisse ramasser en quelques grandes étapes. Et j’ai cru parfois voir ce que l’homme a cru voir.

Un des très grands artistes de la possibilité de cette lucidité terminale est Orson Welles. La vie-œuvre de Welles nous offre la chance de comprendre la progression du dessillement depuis La Dame de Shangaï, et comment la palinodie de l’existence peut la remplir jusqu’à l’exception. Car enfin, pourquoi, d’une manière ou d’une autre, la poésie fait-elle exception ? Comme si elle faisait échapper à la mort quelque chose — quoi ? Comme si, grand stade du miroir ou miroitement de la réplique, elle révélait ce qu’est l’image. Comme si la figurine-homme de taille réduite (Le Troisième Homme ou le petit dans le grand, tel un petit sujet dans le grand), déchaînant l’anthropomorphisme général, avait fait de l’Homme le Fils de l’Homme.

Michel Deguy

 


Note

[1] En suivant le schème de David Hume derrière Xavier Papaïs.