Billet — Exclusivement vôtre

Michel Deguy
par Michel Deguy

« … surgir du fond des eaux le regret souriant »
Baudelaire

 

« Tout a peut-être commencé par la beauté » : ainsi Jean-Marie Pontevia, philosophe, intitulait-il son livre en 1985.
L’écriture inclusive est laide. C’est la première considération. Elle ne l’est pas pour les usagers de 2021 – à l’exception peut-être des institutrices camerounaises présentées par Pivot il y a vingt ans, qui aimaient leur langue française, et continuent.
Donc la cause est entendue : la langue française est langue morte, ainsi que le soutient Jean-Claude Milner depuis des lustres. Nous, ses écrivains, sommes jetables.

 

Les considérations suivantes concernent le neutre et l’épicène. Rappelons la définition de celle-ci (ou celui-ci ?), ouvrons la Grévisse : « Les noms dits « épicènes » n’ont qu’un genre, quel que soit le sexe des personnes désignées » (p. 748). Personnes et mammifères : la girafe est mâle ou femelle. La mouche aussi… Cette régularité est troublée par « l’exception » des trans, comme nous essaierons de le comprendre.
La plus ardente des féministes ne s’étouffe pas en disant « il pleut ». En français le neutre abonde, mais il n’est pas assez remarqué et exige aujourd’hui d’être renforcé. « Ce dont il s’agit… nous en parlerons ». Le « Das » allemand fait défaut ; il faut donc lui faire la place dans l’inventivité de l’écriture contemporaine : un supplément de neutralité. Ainsi m’efforcé-je depuis très longtemps de faire entendre le culturel, le phénomène social total du culturel.

 

Fini le temps du « masculin qui l’emporte ». Et ne perdons pas de temps à « faire en sorte » (selon l’élément de langage favori de l’exécutif) que ce soit au tour du féminin de « l’emporter » – en détruisant la langue. Ni l’un ni l’autre ne l’emporte… à condition que le neutre et l’épicène (du grec « koïnon ») se mettent au travail dans la langue. « Eux » est épicène. Les gens, comme disent les gens, aussi. Or, puisque le masculin est l’orthographe du neutre, ça ne va pas être facile. Tout le monde n’a pas la chance de vivre en Belgique, où le discours du Ministre n’est pas tenu au vocatif initial « Belges ! Belges ! »

 

Ce n’est pas une question « statistique » – de pourcents. L’exception reste l’exception. Le sociétal aligne le social sur la trans-ition.
Chacun est la règle. L’égalité aligne tout sur le traitement matériel de l’individu. Le handicap s’émancipe, et le métro par exemple ne devrait plus avoir que des ascenseurs. Mais le trans impossibilise toute stabilité. Le trans (ni transcendant ni transcendantal) refuse l’identité dans les sociétés – qui sont identitaires/ADN. Ça vacille tous les matins.
Le sens commun ne veut que du concret… L’abstrait est un ni-ni.
Que faire avec l’article ? Le « ça » de Freud, comme une substance psychique neutre, et le « Das » (« Dasein » de Heidegger), comment leur frayer le français ?

Michel Deguy