Billet — Force majeure – Rappel des faits

Michel Deguy
par Michel Deguy

Il n’y a pas l’« environnement ». Il y a la terre, porte-fruits, la terre de Du Bartas. Nous sommes les terrestres.

Il n’y a pas « la Nature OU la liberté ». Nulle n’est « au-dessus » de l’autre. L’homme est « né libre », sur la terre, de la terre, pour la terre – « écologiquement » : libre d’aimer son « séjour » qui n’est ni en propriété ni en location. De l’aimer en le disant, le louant, désespérant d’y mourir.

Telles sont les pensées d’avant le Déménagement – auquel je vais en venir.

Il n’y a pas « Gaïa » ; nulle idole. Ce sont les ennemis qui le prétendent, pour discréditer – comme ils susurrèrent que c’était Goering (ou Himmler, pourquoi pas) qui avait inventé l’écologie.

La « Nature » ne se venge pas. Même si Baudrillard avait raison poétiquement d’imaginer que la terre lassée secouait sa croûte pour évacuer ses parasites comme un ours au bain.

« Mythologies » et « idolâtrie » ne doivent pas être confondues : c’est aujourd’hui que des restes de mythes, même pas bricolés, sont transformés en idoles par l’ignorance touristique.

 

L’écologie politique, dans son exigence absolue, est-elle « punitive » ? Oui, bien sûr. Après l’abus, le trop, c’est-à-dire l’accaparement et la consommation sans limite, vient la restriction, la strette, la striction pensive. C’est ou bien / ou bien. Ou bien le revirement impossible, ou bien l’épuisement, la fin. Tout est-il consommé ?

La Sibérie brûle ; l’Australie flambe ; la Californie incendie ; le pôle fond. La belle ceinture forestière équatoriale primaire est rasée. Le fond des océans est plastiqué. Les pétroliers polluent l’Arctique. Les espèces s’éteignent. Tout cela est décrit, documenté mille fois par jour par tous les médias. Mais les États-Nations ne veulent l’entendre. Le peuplement plus puissant que les peuples déborde, même si la moitié de ses milliards erre dans le dénuement, le désabritement, l’asservissement.

La transhumance séculaire, millénaire, d’humus en humus de l’humanoïde en anthropogenèse, jusqu’à la sédentarisation récente de peuples néolithiques, a inventé les Empires. « De nos jours », comme s’il était las de la logogenèse, sapiens-sapiens-sapiens post-humum assèche la transcendance et toute transcendance par la trans-hominisation transsexuelle, elle-même indifférente à la déshumanisation des migrations mitraillées de déplacés innumérables.

 

Mais qu’est-il arrivé ? La terre, l’ancienne terre, le sol absolu de Husserl, changée en planète par la science, recule, vue depuis l’espace pour les déterrestrés en partance. Dès lors la Dévastation occupe moins la science que la Conquête-de-l’Espace et l’immortalisation de la vie. La vie n’était pas « la vie nue ». Elle l’est devenue par le traitement technologique de la longévité en prolongation médicale. Les milliards de milliards de dollars de la Recherche planifient les cosmonefs et l’hibernation stellaire des corps. Les humains rassurés par les robots anthropomorphes, souriants capteurs de « l’intelligence », reportent leur confiance en déshérence sur les héritiers artificiels.

Michel Deguy