« L’intellect agent » ?
Les Gilets jaunes en colère ne veulent et ne peuvent en entendre parler. Ils croient qu’un petit Macron entouré de quelques petits Macrons, egos omnivores, « ne connaissent pas la réalité, les vraies gens », etc.
Il n’en est rien.
L’élite, comme ils la désignent avec haine, c’est l’intellect agent averroésien collectif : des dizaines de milliers en orchestre [1] qui se tiennent architecturalement [2], depuis un centre (Paris, oui) jusqu’aux élus communaux (les maires) par les préfectures, les centres régionaux, les agences et les services collectifs, les associations interconnectées et hiérarchisées qui connaissent le réel et « savent ce qui se passe ». Appelez ça l’Administration, avec son École des serviteurs de l’État, qui est, avec ou sans majuscule, le synonyme démythifié de la volonté générale pour un bien plus commun [3].
Mais attention ! Les intellects-agents horizontaux, innombrables collectivités inventives, constituent le corps social, coorganisant heure par heure pour la co-traiter la « situation » complexe inextricable, contentieuse, le filet grésillant arachnéen des croisements, des nœuds de la verticalité avec l’horizontalité.
Le grand remplacement tout récent, évident en 2020 (quoique encore méconnu parce que l’opinion mondiale – à l’exception de l’écologie – a pour croyance que c’est le Même qui continue, ou Progrès), remplacement, dis-je, de cet IA collectif par l’autre Intelligence, « artificielle », par exponentialisation neuronale de trans-humanité, voilà ce dont il est question.
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Du monde à l’envers : ou quant à l’égalité.
On a entendu le 16 juillet à la télé cette énormité dans la bouche d’une jeune députée du PCF (oui : une représentante de la Nation) qui, dans la mesure où elle exprime l’opinion, marque que le monde a bien été mis à l’envers et ne se retournera pas, vieille tortue, sur son dos : « l’inégalité est la cause des incivilités ».
On trouve chez Pascal (comme le rappelle Antoine Compagnon dans son manuel estival à l’usage des plagistes) des observations telles : « Il a quatre laquais ». Entendez que Monsieur le Duc passe en carrosse, et qu’on le salue. C’est l’inégalité qui fait la civilité, les manières, les mœurs, la courtoisie. De même est-il d’usage encore de se lever à l’arrivée du Juge et du Président.
Chez les Thénardier et dans le voisinage, l’égalité confuse et l’irrespect vont ensemble. Puis l’american way of life et le mythe de l’enfant-roi ont achevé le retournement. L’éducation, qui rend possible l’instruction, a cédé : on laisse le choix aux kids, ce qui les rend fous : « tu préfères le coca ou le choco ? » La névrose commence. L’école ne rattrapera pas les choses.
« Et en même temps », le conformisme et la servitude, la « correction », étendent la suprématie multiculturelle. L’appel à la désobéissance n’est plus audible. Hannah Arendt opposait à Simone Weil que seuls les enfants obéissent. L’adulte civilisé se produisait dans la figure traditionnelle du citoyen responsable, ou être raisonnable jugeant. Juger, c’est faire acception du cas, et exception de l’application de la loi par jurisprudence ou usage du jugement réfléchissant – exercice de la liberté, si on se rappelle Kant nommant la liberté « ratio essendi legis ». Pourquoi agir ainsi, je veux le savoir.
L’obéissance mène à l’abattoir. Non pas ceux qui obéissent, mais les victimes des Ordres. Mener à l’abattoir est le but du Lider-maximo et autres conducatores. Dans la « hiérarchie », la plupart des humains sont les sous-chefs : ceux qui appliquent l’ordre reçu de l’exécuteur du peloton.
Michel Deguy