Billet — Le droit de ne pas mourir

Michel Deguy
par Michel Deguy

L’humanité naquit des crimes contre l’humanité.
En 1550, la controverse de Valladolid entendit les théologiens catholiques, le chanoine Sepulveda, et le dominicain Las Casas : les Indiens du Nouveau Monde possèdent-ils une âme ? Sont-ils des êtres humains créatures de Dieu, comme nous les Espagnols ? Oui, reconnut Charles Quint. L’âme éparse fut reconnue aux sauvages.

Mais les Noirs avaient été laissés pour compte. On crut l’affaire terminée avec la guerre de Sécession. Pourtant, « si c’est un homme »… ? De combien s’en faut-il ? Les Allemands s’obstinaient à exterminer les Juifs.

 

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Ce qu’on appelle « l’Opinion » consiste en séquences idéologiques de crédulités insécables, comme une chaîne virale. En voici une grosse molécule dont je détaille les éléments : au commencement est « ma » sensibilité en « sensations ». Mon corps vivant pathétique, aujourd’hui identifié en Vie absolue, celle-ci mutée en longévité scientifico-technique : la mort est bannie par un « j’ai le droit de ne pas mourir », entérinant une judiciarisation américaine.

 

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Tous les vingt jours le pays s’effondrait. Les entrepôts du port explosaient, qu’on avait cru volatilisés d’abord avec la destruction de toute habitation. Les factions corrompues « renoncèrent à former un gouvernement ». La jeunesse quittait le pays en radeaux de carton, à corps perdus. Les dieux sacrifiaient les peuples. Les riches retranchés dans leurs demeures indestructibles s’approvisionnaient pour le demi-siècle pandémique. Israël emmurait la Terre Sainte.

 

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Le centre est partout, et n’existe pas. « Majorité silencieuse ». En fait, le pouvoir ne tient la durée non renversable qu’avec son consentement tacite, approbation du « raisonnable » sociétal, d’un en-même-temps centriste faufilé sous le tohu-bohu théâtral des extrêmes.

 

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Pas une heure ne passe sans que les réponses les plus mauvaises possibles soient apportées partout aux conflits géopolitiques qui menacent le monde de fin.

L’Amérique des USA, génocidaire d’est en ouest dès son commencement, récemment destructrice du Vietnam puis de l’Irak, pourrait-elle, après la catastrophe trumpiste et sous la présidence « apaisée » de Biden, inaugurer un renversement décisif du cours mondial des choses ? Je ne le crois pas. Mais imaginons en quoi il « devrait » consister. Si chaque puissance se justifie en se défendant préventivement de l’agression de l’autre, c’est « America first », cette devise divine, aussitôt imitée par les autres (Russie first ! Chine first ! Erdogan first !…) qui installe le suspens mondial au bord de l’abîme, ce laps en fin du western où les meilleurs tireurs vont devoir dégainer ensemble.
Oui « l’Amérique », exorbitante du droit international depuis Nixon, maîtresse de tous les contentieux, ne reconnaissant aucune autre législation devant aucune Cour internationale, en fait « État voyou » (Jacques Derrida) le plus voyou…

Et en bord d’abîme, donc, comme dans un cartoon disneyique, on finit par y tomber.

Michel Deguy