Je pense souvent à Rodin. Au penseur de Rodin. Au coucher et au lever, il arrive qu’on pense assis au bord du lit, les mains sur les genoux non pas croisés mais accolés. L’à-genoux de la pensée n’est pas celui de la supplication.
Quel est l’Autre, alors ? Qu’y a-t-il en face sous les yeux inclinés ? Aucun interlocuteur. Vers quoi donc, pour quoi le regard tourné au-dedans du dehors ? Quel Neutre, ou grande chose, qui n’est aucune en particulier, ni le néant infigurable.
La Nuit.
Le centre où la gravité se pose est le genou. Et si une grande sculpture (monumentum perennius) fait mémoire de l’Art de sculpter, c’est le genou du Moïse de Michel-Ange qui rappelle, soutient, promet la pensée. Ce genou complexe et beau que la statuaire ou le croquis en esquisses anthropomorphes contemporains (si l’artiste y travaille encore ?) détacherait, isolerait, agrandirait, circonscrirait en « détail » donnant sur le tout.
Ô Nuit
La nuit n’est plus une allégorie de la Nuit dans la chapelle florentine, le coude droit sur la cuisse gauche, mais l’alentour indivis de l’Être et du Monde, l’extrême proximité du lointain, disparu comme l’« Horeb ».
La pensée du penseur n’est plus cogito sum ; ni subjective ni objective… La Nuit se pense, l’infinie chose ni en-soi ni pour-moi .
Il est juste que le Penseur ait été, rue de Varennes, placé en regard des portes de l’Enfer.
Michel Deguy