Ce que je me permis de répondre[1] à Mireille Delmas-Marty en pointant le manque de radicalité de sa bonne volonté conciliatrice, j’en condense l’objection principale autour du trou noir de notre absorption par « le culturel » et son multiculturalisme dont elle ne prend aucunement la mesure. Le « culturel », qui n’est pas une notion ni une idéologie, mais nomme notre ère.
« Tous différents », dit-elle, tous interdépendants, tous « solidaires »… Or, « le Tout-Monde valorise une politique de la solidarité[2] » et emprunte à Glissant « la créolisation du monde » ; ou « un pluralisme qui rapproche les différences sans les supprimer ». Et de citer en juriste internationale l’article 1er de la DUDH et la convention Unesco sur la protection et promotion de la diversité des expressions culturelles, en 2005 (« Il faut qu’il reste des différences compatibles » !!). Pensée qui n’affronte pas le nihilisme terminal contemporain.
Le « rapprochement » après coup ne suffit pas. Nous n’avons rien en commun, et c’est ce rien-de-commun qu’il faut transformer en nous-avons-le-rien-en-commun ; qu’en faire ?
La « créolisation » ne suffit pas, métissage trop lent de l’humanité — auquel je suis bien entendu tendrement favorable. « Il faut changer tout ça »… En quoi ? En l’adoption. Non plus « aimez-vous les uns les autres », qui n’a pas marché. Mais adoptez-vous les uns les autres, dont le schème est imaginable à partir de l’exemple des couples (hétéro ou homo, peu importe) qui « adoptent » des enfants abandonnés[3].
Trouver une méthode pour déterminer le seuil de compatibilité qui permettrait de concilier les inconciliables[4]. Quelle méthode ? Réponse : l’adoption en général.
La clé des fausses solutions par demi-mesures empathiques de multiculturalisme se révèle dans la profession de scientisme de la juriste, i.e. de la priorité accordée aux « perspectives scientifiques » sur la « prise de conscience » [sic] « plus tardive dans les sciences humaines et sociales ». Un décalage entre sciences explique tout[5].
Non. Mais l’oubli (oui, « léthal ») de la précession absolue de la pensée philosophique et de la poétique, c’est-à-dire du commencement « Jew-greek-romain-arabe-andalou » de notre « civilisation ».
Le multiculturalisme n’est pas la solution, mais le problème.
Michel Deguy