Ainsi 2013 aura-t-il vu aussi la fin de Gallimard… Parmi les fins de la fin du XXe, il y a, il y aura eu, celle de la « littérature française » dans sa grande allure éditoriale historique, dans sa légende des prix Goncourt, des familles littéraires, des mouvements à manifeste, et des schismes. De tout « ce dont Gallimard était le nom », selon la formule de Badiou devenu cliché. Puisque c’était dans le vaste monde, pour les « lecteurs », le métonyme de la littérature française. 1914-2014 ; plus ou moins : le siècle.
Fin de Gallimard. Aussitôt déniée, bien sûr. « Mais qu’est-ce que tu racontes ?! Ils sont toujours plus forts. Tu ne comprends plus rien au livre et à l’édition… On vous dit que le livre est dématérialisé ! Devenu substance ultramoderne, “en ligne”… Vive l’avenir ! ». Oui, c’est bien ça la question : la « version française » des choses (v. f.) disparaît (comme disait Alain Joxe pour la géopolitique). Et ce sont vos stéréotypes de la « montée en puissance » dans la mondialisation qui vous empêchent de discerner la mutation des temps.
Donc Gallimard est « devenu » MADRIGALL ! Gallimard est remplacé (sic) par Madrigall ; un anagramme, nous dit-on. Il a fallu en effet s’y mettre avec deux l. Est-ce un mot, un nom, une faute d’orthographe, une dysgraphie, une allusion illettrée à une forme ancienne, une « marque », un air de parfum bon marché… Un nom propre qui était devenu commun (« gallimard ») avait une orthographe. Il la perd en s’anagrammatisant. En tant que nom commun, il appartenait à tous, et l’Assemblée générale des lecteurs français (un tiers du pays) aurait dû être consultée.
— Ça fait groupe ! Tu ne comprends rien ! Le Groupe Madrigall…
— Oui, avec son côté « Arlequin » ; et une rime à l’Oréal…
Madrigall avale Gallimard pour devenir groupe ; gros comme un « groupe » ; accueilli par les Echos et peut-être même Wall Street Journal ! On ne parle plus des écrivains ; mais des dirigeants, il y en a beaucoup, et actionnaires, et le Groupe de Luxe prestigieux « entre au capital »…
Les Dirigeants ne sont pas des écrivains. Plus jamais dans les Instances et la rumeur des Affaires, les « échos », les décisions des décideurs qui pourraient aussi décider en agroalimentaire ou en tourisme, ne traiteront des choses qui occupent entre eux les auteurs. Un « comité de lecture », même fictivement et symboliquement, ne sera dans la tête de l’entreprise d’édition, qui annonce sa quête de « best-sellers »… Les deux choses tombent de part et d’autre, la littérature et l’économie.
Que faire ? Inventer un Gallimard 21 ; non pas « recommencer » ; mais transformer en conservant une mêmeté… Comment ?
Robert Guide