L’insoluble et l’inéluctable

Michel Deguy
par Michel Deguy

L’insoluble est une situation qui retarde l’inéluctable.

Ce qui ne trouve aucune solution entre « puissances humaines », à savoir celles qui ont mondialisé la Terre en sa guerre perpétuelle (ensevelissant ainsi le Kant des Lumières, et il conviendrait d’en faire la liste comme des protagonistes de la dernière tragédie, Chine, USA, Russie, dernières démocraties…) est précisément ce qui ne peut pas ne pas échoir, inéluctablement, comme une saison quand la Terre se promettait la paix (dernier exemple avec l’ONU). Prenons l’exemple le plus simplement éclairant : celui de l’Apartheid, solution infernale et viable pendant des générations, qui fut, dut et put être aboli réalistement en une accolade de cinq minutes pour que l’histoire continue. L’inéluctable anéantissait l’insoluble.

Les apartheids innombrables et terribles de 2021 ne sont plus solubles dans le compromis, et j’en fais digression à l’instant pour la clarté : qu’est-ce qui soutenait « l’esprit Cohn-Bendit » dans un monde récent encore habitable ? Le compromis : compromis possible, acceptable, améliorable continûment, politique ? C’est ce que la Haine fatale, le réseau des réseaux, a remplacé. La fin de ce que Sakharov appelait « l’autolimitation » – étouffement qui voue le présent chinois à la cessation de tout conflit.

Mais.

Mais revenons au possible impossible : le propre de la dernière modernité, la nôtre (21ème siècle), est de montrer l’inéluctable simplicité d’une solution possible à un conflit « éternel », c’est-à-dire comment une aporie superficiellement paradoxale pourrait, si elle était éclairée par une omnipotence intelligente ultra-contemporaine, se résoudre en un instant.

Soit cet exemple lumineux : les femmes sont et seront, même en Arabie ou en Turquie, les égales des hommes : des êtres humains. Une égalité réelle (juridique) fera la réalité sociale même là où on jurerait qu’elle ne peut avoir lieu, c’est-à-dire sur les trois-quarts de la Terre.

 

Nous perdons du temps : il est inéluctablement impossible qu’Israël, État indestructible reconnu à l’ONU par 138 nations soit détruit par ceux qui l’ignorent, dont l’aveuglement feint qu’il n’existe pas, dans l’Irréel du présent des imbéciles (Bernanos). Seule la clairvoyance ferait disparaître la fausseté terrestre butée dans la clarté d’un possible inéluctable.

L’agendum moral est déterminable en termes de vérité et réconciliation. La vérité ne peut pas tenir en UN.

 

L’irréparable ne peut pas être réparé. La Colonisation [1] a eu lieu. On n’en effacera rien. Ajoutons que feindre d’en exiger réparation fait alibi, comme la légitime défense pour une puissance totalitaire qui anticipe (précipite) sa conquête en la justifiant : selon le modèle hitlérien à jamais historique.

 

*

 

C’est peut-être Poutine qui révèle aujourd’hui la perfection totalitaire : il peut bien feindre de participer à une conférence écologique ! La prise de l’Arctique pour une exploitation sans limites, totale, des « réserves d’énergie » ridiculise avec cynisme mille mesures de « protection de l’environnement ». L’Arctique n’est pas environnement. Tel s’accomplira l’accaparement ultime de la Terre – ce que la naïveté de Pierre Caye croit pouvoir « préserver » comme patrimoine.

Michel Deguy

 


Note

 

[1] On relira l’admirable livre de Marie-Josée Mondzain, K comme Kolonie, La Fabrique éditions, 2020.

Le vendredi 28 mai, l’Allemagne a pour la première fois qualifié de « génocide » les massacres perpétrés en 1904 dans son ancienne colonie de la Namibie. Excuses jugées insuffisantes.