Le ciel est bleu à Pékin ; le Grand canal transparent à Venise ; les mégapoles silencieuses…
L’urgence, c’est la conjoncture, le kaïros politique aujourd’hui, propice à l’écologie.
Les Verts, d’abord décontenancés comme tout le monde par la pandémie foudroyante, voient s’ouvrir la chance de tenter d’inverser le cours des choses, d’ébranler la confiance en la pensée unique, le dogme de la « destruction créatrice » qui nous enchaîne à la roue motrice de l’économie de croissance par la croissance de la croissance dans le cycle production/consommation/novation. Comment sortir de l’abus [1]?
Je relis le manifeste récent de Nicolas Hulot. S’agit-il de prendre le pouvoir ? Non. Disons même que ce qui fait obstacle (peut-être insurmontable) à cette clairvoyance salutaire, ou vision, c’est la visée électorale du Parti de Yannick Jadot, et l’illusion politicienne de l’opposition « de Droite ». La droiture n’est pas droitière ni populiste.
Comment recevoir ce Manifeste ?
Un manifeste de cent phrases, dont la faiblesse trop manifeste tient en son ton de décalogue – en l’occurrence d’un « hékatonlogue », si « hekaton» veut dire « cent » en grec.
« Aimez-vous les uns les autres » fait un programme trop consensuel. C’est pourquoi il faut rappeler la provenance historique de l’écologie, ses racines vertes et bleues. Je le fais en deux remarques :
1/ L’expérience primordiale de Nicolas Hulot a consisté à montrer pendant des décennies la beauté de la terre vue de son ciel. Il s’agit du terrestre et de notre reterrestration. « Tout a peut-être commencé par la beauté », disait un philosophe français. Et je n’ai garde d’oublier Arthus-Bertrand et mille artistes.
2/ Quant à l’esprit de 68, l’originalité de Daniel Cohn-Bendit se laisse condenser en deux axiomes. Le premier touche à l’identité, exercice ontologique en somme, indispensable même s’il passe pour difficile : « Nous sommes tous ce que nous ne sommes pas » (à savoir tous… des Juifs allemands). Le second est celui du compromis : échanger la lutte à mort (genre maître et esclave) non pour la « dialectique », mais pour la quête du s’écouter-pour-s’entendre en extra-territorialité, en trêve constructible (que malheureusement la tarte à la crème du « dialogue » simule seulement). Une trêve non fracassable immédiatement, parce que les deux adversaires inventent une phase-phrase commune, improbable et imprévisible.
La complexité que j’ai qualifiée d’« ontologique » se recèle dans la différence de ces deux énoncés :
Nous sommes ce que nous ne sommes pas
Nous ne sommes que ce que nous sommes
… que la pensée comparante et son opération en comme nous aidera à composer.
L’entente du premier est facilitée par l’emploi du « comme », qui fait addition au est et n’est pas. Nous sommes comme ce que nous ne sommes pas. Mais ce « comme » banalisant affaiblit la proposition sur l’air du « un peu seulement », atténuant l’injonction imminente du « soyez ce que vous n’êtes pas ! »
Le second rappelle (trop) l’évangélisme évangélique du « soyez ce que vous êtes… comme ne l’étant pas », par exemple aussi riches que vous le désirez mais « pauvres en esprit » ; « chrétiens » de cœur, mais sans vous dépouiller ; autrement dit « pas la peine de faire le François d’Assise… » Rien ne change.
Être une chose, un « prédicat » sans l’Être : A sans A. Comment est-ce possible ? Un couteau sans manche auquel manque la lame… Qu’est-ce qui reste ? C’est la question.
Aujourd’hui nous sommes des terrestres sans cieux divins… à terre… sur terre… comme un céleste sans croyance. Comme une prière sans destinataire.
Comme si/comme… c’est difficile.