Billet — Poésie et « journée »

Michel Deguy
par Michel Deguy

À Chawki Abdelamir

 

Une « journée » de la poésie ? Pourquoi pas toutes ? Journée du travail, journée de la femme, journée de la paix… Chacune de ces grandes choses exige tout le temps. C’est le propre du culturel commémorant (phénomène social total, eût dit Marcel Mauss en 1904 à une époque où, par exemple, la « morphologie sociale d’une société esquimau » n’était que double) de fixer le calendrier annuel des « Journées », soumises aussi à un régime Unesco des « trésors de l’humanité » (les dernières en date étant trésor de la pizza et celui du couscous).

 

La prédominance du culturel, géré par un Ministère, répand le « poétiquement correct ». Nous avons donc à nous demander quelles formes peut prendre la résilience de l’ancienne culture, elle-même repensée en inventivité plutôt qu’en réaction.

La séquence cultuel-culture-culturel, elle-même fertile en injonctions contradictoires, demande une réponse attentive à la possibilité, à l’ouverture du champ (chant) du possible, c’est-à-dire à l’imagination au pouvoir, à l’ouverture du « posse », du nous de « possumus ».

Je me rappelle les jours en 1968 de La Revue de poésie, qui précéda l’invention de la revue Po&sie, aujourd’hui dans sa quarantième-quatrième année, quand nous distribuions des cahiers blancs à remplir de propositions « par tous ». Aujourd’hui il faut orienter ces questions pour déterminer des réponses.

C’est à ce point que nous rejoignons les analyses et les défrichements de Bruno Latour – qui écrit dans Le Monde du 13/02/21 « la question n’est plus de savoir si nous avons assez de ressources à exploiter pour continuer comme avant, mais comment participer au maintien de l’habitabilité du territoire dont nous dépendons ». Souci éco-logique, venu de Hölderlin et de son leit-motiv du « c’est poétiquement que l’homme habite » – c’est-à-dire pour nous de l’écologie poétique.

 

Si c’est bien la langue (les parlers vernaculaires ancestraux veillés par Saussure sous l’angle du rapport de la langue et de la parole) qui est menacée de dissolution, aggravation entropique de l’obsolescence (Günter Anders) sous l’empire de la communication, de la publicité mondiale et de la mondialisation du sabir « globish », deux modes de résistance, ou plutôt de dernier secours, s’imposent. L’abandon du rapport nostalgique, « romantique » à la « magie de la poésie » (ce qui implique une nouvelle « Dévotion » insoumise au culte de Rimbaud même) ; ET la traduction qui recreuse la différence d’une langue à l’autre, chacune « intraduisible » et parfaite en cela que singulière, cherchant à comprendre la possibilité de s’entendre.

Écologie poétique et poétique de l’écologie : c’est par le parler et son « vouloir dire » que l’attachement au terrestre pourrait lutter contre la déterrestration.

Michel Deguy