Brexit
Les Anglais n’ont qu’une seule avance sur nous, mais irrattrapable : ils parlent anglais. C’est ce qui aveugle leur vue.
Le Brexit est une erreur et une faute impardonnables. L’Angleterre est un membre européen. Amputée, leur insularité impériale est devenue leur membre fantôme. L’illusion du Commonwealth et de leur enfantement des USA « persiste ». Or être avec et non pas contre était le sens de l’Histoire. L’affaiblissement du Royaume-Uni est fatal.
God save the Queen ? La Royauté millénaire fait un lien solide avec Dieu. Et le lien spécial avec Trump scellait l’illusion.
Quant à sa relation avec la France, ennemie intime que le voisinage devait changer (« changeant le cours de l’Histoire ») en solidarité perpétuelle, et puisqu’elle a toujours gagné, contre Napoléon ou Pétain, l’Angleterre pense qu’une nouvelle bataille de la Royal Navy contre les pêcheurs français réglera tout. Le pied sur Gibraltar et le pouce sur Jersey-Guernesey paralysent le Gulliver européen.
Comme toujours, la vulgarité ethnique, ou populisme, entrave le dépassement des haines sécularisées et l’esprit de « vérité et réconciliation ». Tableauids, inondation de bière dans les pubs, invasion de supporters enivrent l’orgueil national.
Reprendre Gibraltar et Jersey-Guernesey s’impose, mais n’arrangerait pas les choses.
*
Le mur des cons
Le monosyllabe « fuck » ponctue chaque phrase du film américain. Un coup de fuck toutes les trois secondes, entre deux bouffées d’herbe.
Notre américanisation « sociétale » invasive se traduit par l’emploi inconsidéré de « con » dans le parler médiatico-politique. La « communication » a enrôlé la connerie. Quoi de plus simplificateur, cancérigène, lamentable ? Un ministre – et de l’Intérieur – , mais tout responsable dans son exposition publique, syndicaliste inclus, devrait s’interdire ce franchissement d’une limite. Il devient politiquement correct de s’aligner dans la « connerie ». La traditionnelle correction du langage s’offense.
Que Norpois dans son privé traite mal sa femme, ou Nixon dans son conseil « off the record » ne soit que grossièreté, nous le savons. Mais la différence (la « distinction », oui, Bourdieu !) ne s’abolit qu’au prix de la destruction du parler.
(Le con d’Irène était plus secret).
*
Le couscous mondial
« Le couscous entre au patrimoine mondial immatériel universel de l’humanité ».
Que signifie cet énoncé extravagant ?
Comment le couscous devient-il « immatériel », et du coup patrimonialisé « mondialement » ? C’est-à-dire partout, où « ni vu ni connu » , il n’a pas lieu d’être mangé.
C’est la valeur, la vieille valeur nietzschéenne, qui imposa la question universelle du 19ème siècle « mes valeurs, nos valeurs, tes valeurs »… qui a muté… en quoi ?
Une proclamation de l’ONU arrache une chose à sa matérialité de bon repas goûteux maghrébin.
Je dis « couscous », et hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour en tant que quelque chose d’autre que la graine connue, musicalement se lève, idée même et suave, l’absent de tout repas.
Opération mondiale médiatique instantanée, le couscous entre au menu de tous les écrans, concurrent publicitaire – pareil à une entrée en bourse.
*
Trêve ontologique
Aux lecteurs de Heidegger
« Lui » aussi, « l’Être », avec son article, il est comme ce qu’il n’est pas, à savoir un étant : ça commence avec sa grammaire, « das Sein ». Sa logie, son discours, sa dictée, nous les êtres-parlant nous « devons » donc les retourner tropologiquement vers lui en ce comme quoi il est, par exemple « fervescent » dans la plus récente tentative de Fédier.
De même qu’on disait séculairement quelque chose du Dieu « indicible » en refusant, déniant apo-(tropaïquement-phatiquement-stasiquement) défectueusement « ce » comme quoi il serait : aucun prédicat ne lui sied.
Le poème de l’Être est la dernière chance de la parole avant l’oubli de l’oubli. Le logiciel algorithmique techno super IA de l’identité : Léthé de la pensée.
*
Cartons jaunes et rouges
À Cynthia Fleury, philosophe du « ressentiment » (dont je n’ai pas lu le livre) qui réussit dans son interview télévisée à ne pas citer Nietzsche et à ne pas rouvrir la question décisive de l’Égalité.
À Jean Baubérot qui, pour ses intérêts de Réformé, grignote de biais la laïcité française.
À Luc Ferry, ancien calomniateur de l’écologie, ignorant de la « pensée 68 » (déconstruction) , prétentieux « ami » de tous les notables, qui résout le problème par la « notoriété ».
Mais reconnaissance à Caroline Fourest pour son impeccable intelligence.
Michel Deguy