An american America — Un grand palais pour Edward Hopper

Michel Deguy
par Michel Deguy

En sortant de l’expo…

Chez Hopper les choses ne sont pas éclairées, recevant d’ailleurs une lumière. Ce sont elles qui éclairent : elles sont des lampes, comme perles à Delft.

Ce ne sont pas des objets, mais des choses. Le tableau est une chose de choses, un ensemble posé que son nom peut rassembler à ce titre, comme un petit pan de mur jaune.

Autant de monde, autant de choses ? Si le monde a lieu en choses alors un lieu de monde, l’américain, se montre : des bouts de monde aux bouts du monde font un monde : the barn, the railway, the gas station, the hotel room, the girl, the corner bar in Manhattan… C’est où on pourrait vivre, attachés à y être.

Ce n’est pas à l’artiste d’« imiter » — les arbres, les ombres, le lit, le corps, l’ustensile. C’est « l’Amérique » qui s’imite elle-même, et la séduction de ce narcissisme est d’autant plus forte, le spectateur d’autant plus jaloux de tant d’authenticité, que ces modèles se préfèrent visiblement : il suit et « rentre » dans le tableau reclos, silencieux, d’où l’abstraction écarte les sensibles, fumet ou sonorités. Quand le modèle s’imite lui-même, remake du live in America, il enflamme le désir : son contempleur se fait immigrant.

La jeune guide au musée se fatigue, bien campée dans l’idéologie, à répéter aux visiteurs que le peintre « dénonce » — la machine, la crise, le prix de l’essence, tout ce que le sociologue voudra…

Nous, nous regardons : le peintre ne « dénonce » pas : il peint.

Michel Deguy