Kristell Loquet

Quatre notices en hommage à Jean-Luc Parant

Kristell Loquet nous a fait l’amitié de demander à des artistes et amis de Jean-Luc Parant, dans le cadre de l’hommage que la revue lui a rendu dans le numéro 185-186, ces « images », photo, dessins et peinture sur toile, et de les accompagner chacun d’une présentation, précise et particulièrement éclairante, rédigée spécialement pour les Entretiens du 2 décembre 2023. Nous reproduisons ici les images et les textes de Kristell Loquet.

 

Cette partition de musique ancienne, dessinée et remplie de petites boules et de textes manuscrits par Jean-Luc Parant à l’encre de Chine, paraît en couverture du numéro 185-186 de la revue Po&sie. Je laisse la parole à Jean-Luc pour faire écho à cette image, en déchiffrant son texte manuscrit : « Si nous ne pouvons pas lire c’est parce que nous ne pouvons pas écrire et que nous n’avons pas de mains. Nous n’avons pas de mains parce que nous sommes restés couchés. Debout nous aurions pu cacher le soleil d’une seule main dans le ciel. Nous n’avons pas pu faire surgir la lumière devant nous. Debout nous aurions pu aller avec nos yeux là où nous ne pouvons pas aller avec notre corps, nous aurions pu entrer partout. Debout nos yeux nous auraient portés jusqu’à nous projeter tout entiers en eux… » Jean-Luc donne la parole à un oiseau, aux animaux. Il n’a jamais cessé d’interroger la capacité humaine à dire, lire et écrire. Et il a toujours fait le lien entre la station debout de l’humanité – qui nous différencie des animaux – et son aptitude au langage ; entre la station debout de l’humanité et la projection de ses yeux au-delà de son corps. Nous avons ouvert deux portes sur l’infini en nos yeux. D’une manière plus objective, nous savons que le langage articulé s’est développé chez l’humain grâce à la forme coudée spécifique de son système phonatoire qui a été permise par la station debout. Alors cet oiseau, dressé sur ses plumes comme sur de multiples jambes, est peut-être en train d’apprendre à projeter ses yeux et à parler. En tout cas il chante le monde bouleversé et bouleversant de Jean-Luc Parant.

 

 

Ce portrait de Jean-Luc a été pris en 2015 par le photographe François Rousseau à la galerie Pierre-Alain Challier qui représente le travail de Jean-Luc à Paris. C’était une séance de photos totalement improvisée. Nous étions de passage à la galerie pour saluer Pierre-Alain et François Rousseau était là, son matériel en place pour l’un de ses projets avec Pierre-Alain. Il a proposé à Jean-Luc de poser pour quelques clichés.

François Rousseau avait exposé à la galerie Challier quelques années auparavant à l’occasion de son autre exposition intitulée Atelier à la Maison européenne de la photographie en 2009, et inspirée du roman de Patrick Grainville L’Atelier du peintre sur la relation du peintre avec ses modèles.

Ici, dans cette photographie, c’est le peintre ou plutôt l’artiste Jean-Luc Parant qui devient le modèle du photographe François Rousseau. Jean-Luc regarde François droit dans les yeux et François laisse sa trace dans le regard de Jean-Luc puisque l’on distingue le reflet d’un parapluie blanc sur les pupilles de Jean-Luc. Un parapluie pour diffuser la lumière avec moins de débordement et concentrer la lumière sur celui dont on souhaite tirer le portrait, pour un effet d’éclairage plus dramatique. Et finalement ce portrait a pris pour moi un éclairage encore plus dramatique, je pourrais même dire tragique, quand je l’ai choisi pour illustrer l’article nécrologique paru dans le journal Le Monde daté du 31 juillet 2022 au sujet de la disparition de Jean-Luc. Un mystère reste enfermé à jamais dans cette photographie : celui de l’apparition de Jean-Luc qui nous regarde alors même qu’il a disparu pour toujours.

 

 

Ce dessin de François Boisrond a été réalisé à l’occasion d’une exposition en hommage à Jean-Luc Parant qui s’est tenue au musée Paul Valéry de Sète de novembre 2022 à février 2023. J’avais invité François à y participer et il a choisi, pour rendre hommage à Jean-Luc, de représenter le tas de boules en cire à cacheter avec des inclusions d’animaux naturalisés et de coquillages qui fait partie de la collection du musée et dont le titre est L’éboulement merveilleux, en écho avec le titre de l’exposition de Jean-Luc Mémoire du Merveilleux qui avait été présentée en 2015 dans ce même musée. Une partie de l’éboulement monumental avait été acquise par le musée Paul Valéry en 2015 et se trouve depuis régulièrement présentée dans ses salles d’exposition permanente. François Boisrond a dessiné l’éboulement de Jean-Luc d’une façon très particulière : le sol de l’espace d’exposition est oblique, de telle sorte que l’éboulement semble rouler vers nous, ses regardeurs. La perspective exagérée de François Boisrond crée une pente et donc un mouvement. Or c’est le mouvement continu de l’espace sans fin qui a créé les boules que sont toutes les planètes qui peuplent notre univers. François a redonné tout son esprit à cet éboulement car Jean-Luc disait toujours que le propre d’une boule est de ne pas avoir de sens. En effet, une boule qui roule n’a plus de sens. Elle n’a plus de haut ni de bas, plus de dessus ni de dessous. Avec François Boisrond, les boules de Jean-Luc Parant roulent dans les mouvements permanents de rotation sur elles-mêmes et de translation autour du soleil pour permettre l’alternance continue du jour et de la nuit, de la vie et de la mort.

 

 

Le 26 juillet 2022, au lendemain de la mort de Jean-Luc Parant mais aussi de l’anniversaire de Mark Brusse, Mark m’écrivait, à propos de Jean-Luc : « Sa boule de cire il la roulait avec ses mains au Bout des Bordes passant par la lune vers le soleil… », et m’envoyait cette image d’une peinture sur toile de sa main, intitulée Many moons, que l’on pourrait traduire par De nombreuses lunes. De nombreuses lunes comme de nombreuses boules échappées des mains de leur fabricant Jean-Luc Parant, rejointes par sa pensée échappée de son corps disparu, par une échelle reliant le corps au ciel.

Jean-Luc disait toujours que ses boules, de cire ou de terre cuite, étaient des textes en cas de nuit totale. Que s’il faisait nuit complètement on retrouverait les mots de ses textes rien qu’en touchant la surface de ses boules de cire ou de terre. Ces nombreuses lunes peintes par Mark sont-elles les mots d’un texte de Jean-Luc à déchiffrer dans la nuit sans fin ?

Cette tête munie de deux yeux qui n’en font qu’un en la vue et en la pensée est ce qui ouvre à l’infini : et si deux fait naître le nombre infini c’est que les yeux ont fait surgir la tête comme quelque chose d’unique qui contiendrait l’univers et qui serait le produit d’un seul œil qui serait lui-même celui de deux yeux (JLP).

Mark Brusse représente, par cette tête projetée dans de nombreuses lunes, une tête en avance d’un corps, une pensée projetée dans l’infini.

 

Kristell Loquet