Cette rubrique — work in progress — accueille des poèmes de tous les pays,
en langue française ou dans des traductions encore inédites.
CoronoMélancolie du 25e jour | Auteur | Jean-Yves Potel |
CoronoMélancolie du 25e jour
Aujourd’hui, 24e jour.
Titre d’une série B.
Je suis bloqué dans mon appart.
Je ne sais
si nous resterons sur cette planète
qui s’est faite un jour neuf
merles lumières eaux claires
et corbeaux.
On dit que Venise est revenue
son clapotis son silence
et la nuit de Casanova
coincé entre les toits et les étoiles.
Les habitants sortent des caves
écoutent le temps
qu’ils ne mesurent plus.
Les cloches
les horloges sont bloquées.
La radio déraille, on entend
des voix d’hier annoncer
un concert une expo un rassemblement
des rendez-vous en direct
qui n’ont plus lieu.
Le contact est interdit.
La vie n’a plus le temps.
Hier est aujourd’hui et demain
sans rien
pas même une fin. Aucune
prévision.
On ressasse le temps d’hier
d’avenir et de mémoire.
Ah ! la mémoire chérie
merveilleuse et torturante
la promesse d’une deuxième
troisième quatrième vie
la possibilité de s’inventer
soi-même.
Quelle mémoire invoquer ?
Nous n’avons plus le temps
Alors, l’avenir ?
Nous ne savons
pas
nous ne mesurons rien.
Nous n’avons plus l’audace
les projets
l’attente.
Je n’attends plus.
Aujourd’hui 25e jour
je le dis
pour moi pour personne d’autre.
C’est un sommeil
dans le silence des jours
identiques vides et nus.
Ce n’est pas la mort
c’est une occupation
nouvelle :
compter compter compter
les jours
sans prendre les heures
de la planète que l’on voudrait
aimer sauver
qui se refuse
muette froide revêche
comme est étranger
le plus profond silence.
Sommes-nous là ?
Corps blottis
tanières fermées
être confis
paroles entassées
au pied de la porte
close.
Sourires baisers caresses
délaissés jetés
au fond des pièces
pas même rangées.
Etonnant décor
au soleil du printemps
qui éclaire nos riens
qui éteint nos rires.
L’espace s’est limité
restreint fixé
a tué nos mouvements.
Plus d’embrassades ni de cent pas.
Immobiles
nous sommes sur l’aire
du rien
détachés inutiles.
à l’écoute de l’infini perdu.
Reviendra-t-il
porteur de phrases
de projets d’envies de soif ?
Il ne paraît pas.
N’y-a-t-il plus d’éternité ?
Dans l’espace et le temps
du 25e jour
c’est-à-dire nulle part
sans borne ni cri
je tente de construire
des heures
un sens
me moquer
rire des plaintes inutiles.
Et je me tiens
Impassible devant le virus
qui a son temps.
Je prends le mien.
Jean-Yves Potel,
dimanche 5 avril 2020, 25e jour.