Cette rubrique — work in progress — accueille des poèmes de tous les pays,
en langue française ou dans des traductions encore inédites.
La confession du Danube | Auteur | Endre Ady | |
Traduction | Guillaume Métayer |
La confession du Danube
Je savais qu’il cachait des secrets,
Notre Danube, ce vieux renard,
Dont peut-être ne rêva jamais
Depuis les feux des grottes antiques
Cette indifférente d’Europe.
J’ai volé les secrets du vieil Iszter[1],
Les secrets de l’ombreux Danube.
En terre magyare, il ruse, le vieux paillard,
Car il a vu de plus tristes merveilles.
Mais là, l’envie le prit d’être bavard.
Il se confia à moi, je ne sais plus trop quand :
Le printemps était là, et lui ivre et prolixe.
Il dansa, chanta, beugla, conta,
Toisa Budapest dédaigneusement,
Et siffla des chansons sardoniques.
Peut-être sur la fameuse île de Sainte Marguerite
L’ivrogne m’adressa-t-il la parole.
(Mon cœur aujourd’hui en sursaute encore
Hélas, il y a longtemps que ce refrain s’attarde,
N’est-ce pas, Iszter, vieux fleuve-renard ?).
Le vieux Danube alors se fit grand et sérieux.
L’humeur sauvage du printemps lui rafraîchissait le gosier.
Il était comme un génie ivre.
Osait à peine me regarder dans les yeux
Et je le mis à la question, sans m’arrêter.
« Alors, vieux bambocheur, tu vis deux-trois merveilles,
Depuis que lave ce paysage
Ton eau pâle, ton eau ombreuse, affreuse,
Qui emporte les vieilles ombres.
Avoue-le moi, vieux chenapan. »
Le monde fut-il toujours aussi mauvais ici ?
Péché originel, faute tiède,
Frissons, convulsions, larmes, disette ?
Aux rives du Danube jamais n’auront vécu
Des peuples heureux, forts et rieurs ? »
Et en un sourd murmure, il commença son conte,
Le vieux Danube. Elle est vraie, la malédiction
Que nombre d’entre nous pressentîmes, oh, tout est vrai :
Depuis qu’il a jailli en un fracas,
Il n’a pas vu ici de peuple heureux, jamais.
La région du Danube est un triste paratonnerre,
Un pilori de honte préparé
Pour des demi-humains, des demi-nations.
Où l’on taille les ailes
Où les soirs sont funèbres.
Il n’en sera jamais autrement, c’est écrit »,
Marmonna l’écume du vieux Danube.
Et au milieu des petits pays malheureux
S’étendit le vieux fripon.
Et s’enfuit loin de moi en un éclat de rire.
(1907)
Endre Ady (1877-1919)
Traduction de Guillaume Métayer