Cette rubrique — work in progress — accueille des poèmes de tous les pays,
en langue française ou dans des traductions encore inédites.
Poèmes | Auteur | Sándor Petőfi | |
Traduction | Guillaume Métayer |
Poèmes
Heureuse nuit…
Heureuse nuit ! Ma rose et moi, à ses côtés,
Dans le petit jardin restons à folâtrer.
Le silence est complet, seuls quelques chiens aboient,
Là-haut, dans le firmament,
Féériquement
La lune, l’étoile flamboient.
Je n’aurais pas pu faire une étoile valable ;
Dans son ciel, Dieu le sait, je ne resterais pas.
Le paradis pour moi n’eût rien d’indispensable,
Je serais descendu,
Le soir venu,
Ma rose chérie, jusqu’à toi.
(Pest, décembre 1844)
La Cigogne
Il est mille sortes d’oiseaux : l’un chérit celui-là,
Tel autre celui-ci,
L’un c’est son beau ramage, l’autre c’est son plumage
Bariolé qui le séduit.
Celui que j’ai choisi, à l’art de la chanson
Pour un oiseau, n’est pas rompu.
Comme moi, il est simple, …moitié de noir,
Moitié de blanc vêtu.
Car, parmi tous les autres, celui que je préfère,
Moi, mon oiseau, c’est la cigogne,
Habitante fidèle de ma douce terre natale,
De ma plaine hongroise si chère.
Il se peut que je l’aime à ce point pour avoir
Grandi à ses côtés ;
Qu’elle venait, quand je pleurais dans mon berceau,
Au-dessus de moi caqueter.
J’ai passé avec elle les années de l’enfance.
Sérieux petit garçon,
Tandis que mes camarades poussaient, dans le soir,
Les vaches vers la maison :
Moi, dans nos cours, au bord des coupoles d’épines
Je m’approchais,
Et quand les cigogneaux s’essayaient à voler,
Les contemplais, muet.
Je méditais. Une question dans mon cerveau
Ne cessait de rouler :
Pourquoi l’homme n’est-il pas, à l’instar de l’oiseau,
Une créature ailée ?
Nos pas ne savent arpenter que la distance
Et la hauteur jamais ;
Mais en quoi donc me touche-t-elle, la distance ?
La hauteur est mon fait.
Je désirais monter. Ah, comme j’enviais
Le soleil de son sort,
Qui, au front de la terre, tissé de sa lumière,
Dépose un chapeau d’or.
Que je souffrais le soir de le voir transpercé,
Le sang dégouttant de son sein ;
Je pensais : c’est ainsi ? Celui qui nous éclaire
C’est donc là le gain qu’il obtient ? — —
L’automne est la saison que les enfants désirent,
Leur mère n’est sortie
Que pour charger à l’intention de ses gamins
Des paniers pleins de fruits.
L’automne était mon ennemi, je lui disais,
Quand il m’offrait ses fruits :
Garde tes dons, toi qui déroutes la cigogne,
Mon oiseau favori.
Le cœur meurtri je les voyais se rassembler,
S’éloigner dans les cieux ;
De même qu’aujourd’hui ma jeunesse qui fuit
Je les suivais des yeux ;
Et quel triste spectacle, ces nids vides en nombre
Sur le toit des masures.
La brise me soufflait, sourde prédiction,
De regarder vers le futur.
Lorsque, l’hiver passé, la terre dévêtait
Sa pelisse enneigée,
Et passait à sa place un dolman d’un vert sombre
Aux coutures florées ;
Alors, de vêtements de fête et d’habits neufs,
Mon âme elle aussi s’habillait,
Pour attendre les cigognes, jusqu’à la frontière voisine
Quelquefois je déambulais. —
Plus tard, quand l’étincelle fut devenue flamme
Et jeune homme l’enfant :
La terre brûlait sous mes talons, je m’élançais
Et surgissais sur un pur-sang,
Les rênes relâchées je galopais
En direction de la puszta…
À son tour, le vent s’emballait
Pour rattraper mon étalon.
J’aime la puszta ! Là, je me sens
Libre, vraiment ;
Là, mes yeux vont où bon leur semble
Sans nul empêchement,
Les rocs ne font pas cercle autour de moi, moroses
Fantômes chargés de menaces.
Secouant en tout sens les sonores ruisseaux
Comme des chaînes que l’on brasse.
Et que nul ne dise que la puszta n’est pas belle !
Car elle a sa beauté,
Mais comme la pudique vierge son visage,
Un voile épais vient l’abriter ;
Devant ses familiers, devant ses bons amis
Elle daigne l’ôter,
Et sur elle l’œil charmé se pose avec pureté, car
Il découvre une fée.
J’aime la puszta ! Cent fois, je m’y aventurais
Sur mon coursier ardent,
J’allais où nul humain n’a laissé trace de pas
Même pour de l’argent :
Descendant de cheval, je m’allongeais dans l’herbe.
Un bref coup d’œil, et qui
Apercevais-je sur le lac à mes côtés ?
Cigogne, mon amie.
Elle m’avait escorté au fond de la puszta
Où, ensemble rêvions,
Contemplant longuement, elle, le fond des eaux,
Moi, la fée des illusions.
Ainsi passé-je avec elle le plus clair de l’enfance,
De la jeunesse, et c’est pourquoi
Je la chéris, malgré son plumage sans éclat,
Malgré son peu de voix.
Aujourd’hui encore je la chéris et considère
Cet oiseau, la cigogne,
Comme le seul réel qui me reste d’une ère
Plus belle, traversée en songe.
Et aujourd’hui encore, chaque année, j’attends
Que tu reviennes,
Quand tu t’éloignes, je te souhaite un bon voyage,
O mon amie la plus ancienne !
Szalonta, 1-10 juin 1847
Cabaretière d’Hortobágy…
Cabaretière d’Hortobágy, mon ange gardien !
Posez un verre de vin, permettez que je boive ;
De Debrecen à Hortobágy, quel long chemin,
De Debrecen à Hortobágy, j’ai eu soif.
Les vents sifflent un air plein de fureur,
Le froid m’envahira bientôt l’âme, le cœur :
Rien qu’un regard, cabaretière, ma giroflée !
Pour, aux rayons de vos prunelles, me réchauffer…
Cabaretière, votre vin naît en quels parages ?
Il est acide comme une jeune pomme sauvage.
Embrassez donc mes lèvres prestement,
Doux baiser à ma bouche sera adoucissement.
Belle petite femme…vin acide…doux baiser…
Bientôt mes jambes vont me lâcher ;
Prenez-moi dans vos bras, ma douce cabaretière !
N’attendez pas que je m’affale ici par terre.
Eh, ma colombe, que votre sein est moelleux !
Laissez-moi reposer sur lui un petit peu ;
Quoiqu’il en soit, pour lit bien dur j’aurai la nuit,
J’habite loin, et ne serai pas rendu aujourd’hui.
Hortobágy, octobre 1842
L’amour, l’amour…
L’amour, l’amour,
L’amour est une fosse sans jour ;
J’y suis tombé, j’y suis en plein,
Je ne vois rien, je n’entends rien.
Je garde le troupeau paternel,
Mais n’entends plus sa campanelle ;
Sur les semis, voilà qu’il monte,
Trop tard toujours je m’en rends compte !
Ma mère a rempli de pitance
Ma gibecière en abondance
Par bonheur, je l’ai égarée,
J’aurai donc moyen de jeûner.
Mon cher papa, ma chère maman,
En moi ne soyez plus confiant,
Pardonnez mes étourderies,
Sais-je ce que je fais, moi aussi ?
Székelyhíd, entre le 4 et le 24 novembre 1843.
Sándor Petőfi, traduction de Guillaume Métayer