Cette rubrique — work in progress — accueille des poèmes de tous les pays,
en langue française ou dans des traductions encore inédites.
Au jardin | Auteur | János Arany | |
Traduction | Guillaume Métayer |
Au jardin
Je jardine, triste et serein,
À mes arbres fruitiers je vaque;
Des hauteurs d’un bleu cristallin
Un cri de grue jusqu’à moi vague.
À travers l’herbe du jardin
M’émeut le chant de la colombe :
Il est seul, le pigeon voisin –
La jeune femme est dans la tombe.
On se pressait peu à sa porte,
Et son départ aussi fut froid :
C’est qu’elle était pauvre, la morte,
Pauvre, étrangère de surcroît.
Sa famille, s’il en est une,
Ce vaste monde l’a mangée;
Douce pitié n’en n’eut aucune,
Surtout…de la curiosité.
Vers l’atelier le mari triste
Tourne avec soupirs et tourments ;
Parmi ses planches qui blanchissent
Il vient faire un choix justement.
L’une était peut-être un berceau,
Un lit nuptial ce morceau :
Mais pour sa femme décédée
C’est un cercueil qu’il va sculpter.
Le petit orphelin gémit
Le pauvre, mais il ne sait pas
Qu’il doit au livre de la vie
Apprendre un rude b.a.-ba !
Dans ses bras la bonne ronchon
Le secoue et fait les cent pas
Criant : « Pleure, mais pleure donc »,
Et pour l’y inciter le bat.
Je jardine, triste et serein,
Des arbres je panse les plaies;
Mais ce chant de deuil qui survient
Me concerne-t-il, s’il vous plaît ?
Il n’était parent ni ami;
La plaie d’un autre, quelle idée ?
À un cœur la sienne suffit,
C’est bien assez de la panser.
Monde indifférent !… Cette vie
N’est qu’une salle de bal pleine,
Dedans et dehors sans répit
Les gens s’agitent, vont et viennent,
Tant d’arrivées, tant de départs,
Qui peut faire à tous révérence !
C’est déjà bien prendre sa part,
De reconnaître…une connaissance.
Monde indifférent !… L’homme n’est
Qu’égoïste chair qui dévore
Comme le ver insatisfait,
Il rampe toujours plus et – mord.
Et si elle lui prit un fils,
La mort, ce vieux jardinier,
Un autre vient qui n’est pas pis
Et pas meilleur que l’an dernier.
(1851) Traduit du hongrois
par Guillaume Métayer