Cette rubrique — work in progress — accueille des poèmes de tous les pays,
en langue française ou dans des traductions encore inédites.
Sonnets | Auteur | Mihály Babits | |
Traduction et présentation | Guillaume Métayer |
Sonnets
Zrínyi à Venise [1]
Sur la noble Saint-Marc, que, pensif, je foulais,
Voici bien longtemps qu’un autre Hongrois chagrin,
Poète plus que moi, et héros comme aucun,
Colossal, piétinait, sachant ce qu’il voulait !
Sachant ce qu’il voulait, mais pas que ce monde est
Inépuisable en mal, ni qu’il voudrait demain
Revenir, depuis le pays, berceau et fin,
Où, à tout prix, vivre et mourir il lui fallait.
L’ignorant, il songeait au pays esseulé,
bottes tonnant contre le marbre, l’âme en colère
de voir sur les vieux arcs tant de marques de guerre.
La nue du soir vint couvrir lagune et marché,
les anges s’apprêtaient là-haut au corps-à-corps
pour lequel Alderán[2] ressuscita les morts.
Sonnets
Froids sonnets que ceux-là. Ce n’est que pure adresse,
impassibilité, virtuosité pure.
Bien qu’aujourd’hui le travail n’ait nulle noblesse,
ce n’est là que travail, et simple ciselure.
Si poète est celui qui trafique sa fièvre,
Me voici nu, prostitué, mais constatez :
Ce n’est point poésie, mais un métier d’orfèvre,
Ni du théâtre, ni de la sincérité.
Chaque sonnet est un autel en miniature,
Qui aux verbes sanglants se plaît, au débraillé,
De mes vers plus avant ne pousse la lecture.
Toi qui de tant de cœurs autrefois fus la clef,
Sonnet, clef d’or, verrouille mon cœur fermement
Que seul sache l’ouvrir celui qui m’est parent.
Poète, romancier, essayiste et traducteur, notamment de Baudelaire et de Dante, Mihály Babits fut l’un des membres phare de la revue moderniste Nyugat (Ouest). Il est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes, de nombreux romans, dont certains ont été traduits en français (Calife-cigogne, Le fils de Virgil Timar), d’un grand poème biblique et philosophique, Le Livre de Jonas (voir Nicolas Abraham, Jonas et le cas Jonas : essai de psychanalyse littéraire, Flammarion, 1999) et d’une histoire de la littérature européenne. Babits s’est illustré, entre autres, dans le genre du sonnet, dont voilà deux exemples.
Guillaume Métayer